La diaspora juive du XVe siècle

On peut distinguer deux mouvements divergents au sein de cette diaspora du XVe siècle. Le premier emprunta les circuits de l'expansion portugaise et la grande route des épices entre Malacca et Anvers; l'autre suivit les voies commerciales de l'Empire ottoman, qui allaient d'Alexandrie vers les ports de la côte adriatique en Italie.  Les émigrés de la route des épices restèrent en contact régulier avec la mère patrie, tandis que les seconds coupaient le plus souvent les liens.  Les premiers furent contraints à pratiquer, ou feindre de pratiquer, le catholicisme, tandis que les seconds durent intégrer la communauté juive séfarade établie en Orient. Les deux routes étaient en principe rivales, mais comme la loi portugaise interdisait le départ direct de nouveaux-chrétiens vers des communautés juives, la première route fut pour ceux-ci le seul moyen d'atteindre la seconde.

La route des épices, monopole de la couronne portugaise, allait, depuis 1505, obligatoirement de Lisbonne à Anvers.  La municipalité anversoise, généralement favorable aux marchands étrangers, l'était en particulier envers les agents de ce trafic hautement lucratif.  Le 20 novembre 1511, elle accorda une charte fort généreuse aux "Portugaloys et nouveaulx Chrestiens": exempts de la plupart des taxes municipales, ceux-ci formaient une "nation", c'est-à-dire un corps de marchands ayant une juridiction propre.  La "nation portugaise", qui compta en 1626 une douzaine et en 1540 une vingtaine de familles, fut administrée de manière autonome par des consuls et eut un siège dans l'un des palais anversois.  Elle déploya une certaine ostentation catholique et créa des fondations opulentes dans les églises anversoises.  Cependant, certains de leurs membres sympathisaient avec les nouvelles idées de la Réforme, tandis que d'autres, dits "Marans", continuaient  à observer dans leurs maisons les traditions juives.

Le chef de ce dernier groupe, Diogo Mendes, était un descendant de la famille juive espagnole Benveniste. Avec son frère Francisco Mendes, qui habitait Lisbonne, et un marchand italien d'Anvers, Giancarlo Affaitadi, Mendes réussit vers 1525 à s'assurer le monopole du commerce des épices. Il fit acheter à l'avance des caravelles entières de "noix de muscade, clous de girofle, poivre et autres épices auprès de Dom João III à Lisbonne; et il augmentait son profit par le négoce des pierre précieuses et le prêt de grandes sommes à l'empereur.

Les Mendes n'avaient pas uniquement des ambitions financières. Avec d'autres Portugais d'Anvers, la maison poursuivait une mission religieuse secrète : celle d'acheminer des compatriotes vers des communautés juives de la Méditerranée.  Dans ce but, ils réunissaient des fonds et maintenaient un réseau d'agents le long d'un itinéraire qui menait de Lisbonne à Anvers et Cologne, puis par la vallée du Rhin et par les cols des Alpes à Ferrare et, de là, en Turquie.

« Histoire des Juifs Portugais » de Carsten L. WILKE
© Chandaigne, 2007